Value Based Heath Care ou le mythe de la compétition efficiente

Ne confondons pas «patient centred» avec «client oriented». Être centré sur le malade, pour la médecine, n’est pas une stratégie. C’est la condition de son existence, la démarche d’où elle émerge : son origine. Bertrand Kiefer Les dessous de la révolution du patient

J’aime l’économie. C’est avec la sociologie et les sciences de gestion une des sciences du trépied qui permet de décrire la grande gidouille dans laquelle s’enfonce notre système de santé. Comment se passer de la théorie de l’agence si l’on veut critiquer le viol éthique auquel nous sommes soumis lorsque nous sommes transformés en agents de rationnement, ou encore la rétention d’information par les « principaux » à laquelle nous sommes soumis en tant « qu’agents » dans la théorie de la firme ?

Par exemple le Value Based Health Care (VBHC) n’est bien critiquée qu’à partir de l’économie, mais aussi de la gestion, la bonne, dès qu’elle montre de façon implacable qu’on est encore incapable de faire l’analyse fonctionnelle de la valeur des soins, analyse préalable que tout bon comptable exigerait du système d’information comme le minimum pour ne pas faire couler sa boite avec la modélisation des activités. Si une profession a bien compris la différence entre la carte et le territoire, le réel et sa représentation, c’est bien les (bons) comptables.

J’ai assisté lundi à un webinaire sur le sujet de la VBHC. C’est le dernier buzzword tendance de notre belle usine à gaz parisienne, le nouveau veau d’or managérial érigé avec la complaisance résignée de la CME. Ne doutons pas que les cabinets d’audit et de conseil y seront associés.

On n’y a pas présenté pas les cadres conceptuels, on le fait rarement dans les exposés français : il faut revenir à Donabedian, qui a fondé un modèle robuste de la qualité des soins et la notion d’outcome, le résultat qui importe pour le patient. Michael Porter, le gourou de Harvard, a habilement appliqué le concept de valeur à l’économie et au management de la santé en prônant avec Teisberg la Value Based Competition.

Vous trouverez sous ce lien une bibliographie pro & cons  relative au concept de Value Based Health Care

On retiendra du webinaire que pour faire admettre le VBHC, il faut d’abord continuer sans relâche à enfoncer la porte béante de la centralité du patient. Il faut répéter comme un mantra PROMS et PREMS en y mêlant un peu de ICHOM (prononcer aille-tchome).

Il ne s‘agit pas ici de contester l’intérêt de prendre en considération les résultats et l’expérience du point de vue des patients. Mais il est permis de se demander si, en fondant la légitimité du VBHC et de la value based competition qui en découle sur le centrage patient, on ne se moque pas de nous et si les gestionnaires actuels ne sont pas en train de justifier que l’on va continuer à gérer avec les mêmes méthodes qui nous ont conduit à l’échec. 

Le centrage patient et la médecine globale, ce n’est quand même pas une idée nouvelle, les mauvaises langues disent même que cela remonte à Hippocrate ou que c’est la condition d’existence de la médecine.

Mais voilà, on a renoncé à représenter les résultats par le modèle simpliste de Fetter des groupes homogènes de diagnostics. 

Maintenant, on vous le dit, les résultats seront donnés par le patient qui évalue les résultats et son expérience des soins.

PROMS et PREMS

https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-07/rapport_panorama_proms_prems_2021.pdf

Site de l’ICHOM  https://www.ichom.org/

A qui sert cette débauche terminologique à part épuiser un peu plus les cadres de santé dans l’interminables messe Powerpoint en novlangue ?

– A inverser ce qui est central et périphérique dans les soins pour substituer l’hétéronomie gestionnaire à l’autonomie des équipes soignantes?

– A permettre aux pouvoirs publics de persister dans les mêmes erreurs en attendant des résultats différents ?

– A continuer à nous forcer à travailler en silos concurrentiels pour nous dire ensuite que nous sommes incapables de nous coordonner, puis qu’il faut nous assener une pédagogie de l’éthiconomie et de la bientraitance pour optimiser la conduite de nos conduites dans une guerre de tous contre tous ?

Hélas, la grande manipulation fonctionne ! Tant de soignants sont séduits, et pas seulement les managers ou les soignants outsiders, médecins compris, qui en espèrent une redistribution des cartes ! Mais qu’y a-t-il derrière la loyauté affichée face à la maltraitance institutionnelle ? Brave new world.

On comprend assez vite ce qu’on savait déjà, c’est que la VBHC, utilisée en vue de la réduction des coûts et de la financiarisation, est justifiée par le centrage patient qui sert de légitimation idéologique aux paiement forfaitaires par épisode de soins, ex. prothèse de hanche, infarctus du myocarde, chirurgie du colon, néphropathies chroniques. C’est la super-T2A par groupes homogènes de parcours, parcours qui s’arrêteront tout aussi net aux portes de l’extérieur institutionnel de la machine à guérir. Vous pouvez être sûrs que c’est le premier élément de la chaîne qui risque de toucher le magot, d’avoir le pouvoir de le répartir, et que l’aval n’aura qu’à bien se tenir sous les yeux gourmands de l’assureur-payeur. Ce dernier fera peser tous les risques financiers sur les patients utilisés comme bras armés de la gestion et sur les offreurs divisés pour mieux régner et incités à se battre sur des indicateurs pour capter les maigres ressources persistantes.

Je ne reviens ici sur pas sur la critique de la réingénierie des processus et des métiers, ni des ACO, les organisations de soins responsables (ou imputables), vantées par Natacha Lemaire. Il faut seulement noter que les différentes théories de la firme – l’économie n’est pas monolithique – prédisent des résultats bien différents pour les paiements regroupés, autrement dit le partage des risques, entre aigu et SSR. Il nous faudra savoir décrypter comment ces fausses révolutions culturelles : la révolution de la valeur, la révolution du patient, la révolution de l’article 51 qu’on peut résumer à l’approche métier du rapport Berland, permettent d’occulter la révolution réelle et permanente du management public de la santé qui est celle de la yardstick competition ou concurrence par comparaison d’indicateurs. 

L’immobilisme est en marche et laisse craindre qu’on continue à mettre à la porte de ce qui est financé par la protection sociale les gens qu’on laissera à la merci de la nouvelle charité territoriale.

On peut se demander si l’EBM, certes à utiliser avec modération, ne va pas être détrônée par ces nouveaux systèmes d’indicateurs destinés à fonder la vérité sur du vent.

Ceux qui aiment les sources trouveront une webographie  sous ce lien 

Esculape nous tienne en joie

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